Les progrès du Vietnam sont remarquables
À l’occasion de la Fête nationale du Vietnam (2 septembre 1945), le secrétaire général de l’Association d’Amitié Franco- Vietnamienne (AAFV), Jean-Pierre Archambault, a accordé au Courrier du Vietnam une interview se focalisant sur le parcours révolutionnaire de Hô Chi Minh à l’étranger dont la France, ainsi que sur les progrès du Vietnam ces derniers temps.
VU Mai Linh Huong. Hô Chi Minh est devenu membre du Parti communiste français lors de sa création en 1920. Votre vision sur sa période d’activité en France ?
J.-P. Archambault. Hô Chi Minh a vécu à l’étranger de 1911 à 1941. Pour comprendre les causes de l’enchaînement de son pays, il s’est d’abord tourné vers l’Occident plutôt que vers l’Orient.
Il débarque à Marseille pour quelques semaines puis parcourt le monde avant de revenir en France en 1918 jusqu’en 1923.
Il mène de front ses activités politiques et professionnelles. Il exerce le métier de retoucheur- photographe, après avoir été jardinier, garçon de restaurant, cuisinier notamment à Londres chez le plus grand chef du monde de l’époque, Escoffier… Sa vie est difficile : logement exigu, nourriture insuffisante, menace de chômage. En 1923, il réussit à se rendre en URSS alors encerclée, avec l’aide du Parti communiste français. En 1924, il s’installe en Chine, près du Vietnam.
Au cours de ces années, il se forge deux idées-forces. Premièrement, le combat des peuples colonisés est un combat qui leur est commun. Deuxièmement, les rapports sont étroits entre la révolution de libération nationale et la révolution des prolétaires des métropoles : colonisés et prolétaires même combat. Les éléments les plus avancés de la société française et les peuples colonisés ont un ennemi commun : l’impérialisme.
En 1919, avec un groupe de patriotes annamites, il adresse à la Conférence de Versailles un texte exigeant que le gouvernement français reconnaisse au peuple vietnamien son droit à la liberté, la démocratie et l’égalité, les mêmes garanties qu’aux Européens. Aucune suite n’y sera donnée. Hô Chi Minh comprend que le système colonial n’est pas amendable. Il en tire la conclusion que les nations opprimées doivent compter avant tout sur leurs propres forces et que les Vietnamiens doivent chercher à se libérer eux-mêmes. Il prend connaissance des thèses de Lénine sur les questions nationales et coloniales. Aidé par des révolutionnaires français tels que Marcel Cachin et Paul Vaillant- Couturier, il se rend compte que la IIIe Internationale et les thèses de Lénine répondent à ses aspirations les plus profondes. Il lit Lénine et Marx, Le Capital est son livre de chevet. Il devient communiste.
En 1920, il participe à la fondation du Parti communiste français au Congrès de Tours, ce parti et l’Internationale communiste étant les plus sûrs alliés des colonisés. Le délégué de l’Indochine est salué par les applaudissements du Congrès. En un excellent français, il dénonce les méfaits, les actes d’une répression féroce et arbitraire dont sont victimes 20≈millions d’Annamites voués à l’opium et à l’alcool, exploités et traqués par une justice expéditive qui les accable. Le despotisme règne.
Il écrit beaucoup, notamment dans L’Humanité, le journal du parti communiste, et La Vie ouvrière, celui de la Confédération générale du travail (CGT). Il publie Le Procès de la colonisation française.
En 1921, avec des militants des colonies françaises, il fonde l’Union inter-coloniale qui édite Le Paria. Un article « savoureux ». Le 24 septembre 1922, Georges Carpentier, premier Français champion du monde de boxe (poids mi-lourds), met son titre en jeu face au Sénégalais Battling Siki. Pas le moindre doute, Georges Carpentier va gagner. Or, Battling Siki l’emporte par KO au 6e round. Il s’en suit dans la presse une campagne raciste d’une rare violence, bien dans l’air du temps, symbole du colonialisme. Face au déchaînement, rares furent les voix appelant à la raison. Ce fut le cas de Paul Vaillant- Couturier dans L’Humanité. Et de Hô Chi Minh qui, dans Le Paria du 1er décembre 1922, écrit avec malice : « Depuis que le colonialisme existe, des Blancs ont été payés pour casser la g… aux Noirs. Pour une fois, un Noir a été payé pour en faire autant à un Blanc ».
Hô Chi Minh ne se contente pas d’être un des animateurs du tout jeune parti communiste. Il est présent partout où il peut trouver un auditoire pour dénoncer le colonialisme. Cependant, la police veille. Hô Chi Minh, devenu « l’indigène » le plus dangereux de France, est systématiquement poursuivi, épié, contrôlé. Il est souvent à deux pas d’être interpellé. Il sait fort bien ce qu’une arrestation signifierait : la reconduite de force au Vietnam et, à plus ou moins long terme, l’exécution. En 1923, il décide de quitter clandestinement la France pour rejoindre Moscou. Une nouvelle page de sa vie s’ouvre…
VU Mai Linh Huong. Vos remarques sur les progrès du Vietnam ces dernières décennies ?
J.-P. Archambault. Trente ans après le Dôi Moi, le Vietnam a une économiestable.
Des chiffres qui parlent d’eux-mêmes. Il enregistre une croissance de 6 % à 7 % depuis dix ans. L’inflation est faible (par exemple 0,6 % en 2015). En 2017, le taux de chômage était de 2,5 %. La grande pauvreté a significativement reculé. Elle touchait 58 % de la population en 1993, contre 5 % en 2015. Le revenu par habitant et par an est de 2 300 dollars. Il a été multiplié par 11 de 1986 à 2017 (il était de 400 dollars en 2000). En 2010, le Vietnam a quitté le groupe des pays les plus défavorisés pour intégrer celui des pays à revenus intermédiaires (2 100 dollars par habitant et par an). Ces résultats sont remarquables. D’autant plus que le passé pèse encore : la colonisation puis 50 ans de guerre.
Après la réunification nationale en 1975, la reconstruction d’un pays dévasté s’est faite dans le contexte ô combien difficile de l’embargo des États-Unis et des pays occidentaux. Une quarantaine d’années après la fin de la guerre du Vietnam, l’Agent Orange/dioxine tue encore. Il y a quatre millions de personnes contaminées.
Un peu d’histoire : Le général Westmoreland, commandant des opérations militaires, avait déclaré que les États-Unis ramèneraient le Vietnam à l’âge de pierre (c’est beau les droits de l’Homme…). Ils s’y sont employés, entraînant une catastrophe humanitaire, des millions de victimes, le plus grand désastre écologique de tous les temps, un écocide, une nature dévastée… La guerre américaine est la plus grande guerre chimique de l’Histoire. Crimes contre l’humanité et crimes de guerre. Des destructions et des souffrances à n’en plus finir.
Au Nord du pays, plus de 4 000 communes, sur 5 778, ont connu des bombardements. Sur les 30 capitales provinciales, 28 avaient été atteintes. 3 000 écoles, 500 hôpitaux, des dizaines de milliers d’habitations, d’édifices divers, avaient été détruits, totalement ou partiellement. Au Sud, les campagnes avaient énormément souffert. Partout dans le pays, les champs, les rizières, les forêts étaient truffés de bombes non explosées. Et que dire alors des défoliants, qui ont empoisonné la terre. Des progrès remarquables mais des défis demeurent : améliorer le rendement de la production et la compétitivité des entreprises. Pour cela, développer la formation professionnelle, lutter contre le développement inégal entre les villes et les campagnes (problèmes d’eau potable, de déchets…), affronter le changement climatique et la montée des eaux, éradiquer les fléaux tels que la corruption et les inégalités entre riches et pauvres.
VU Mai Linh Huong. À votre avis, quelle est la position du Vietnam sur la scène internationale ?
J.-P. Archambault. Le Vietnam a réussi son intégration dans la communauté internationale, une volonté politique forte de sa part. Il entretient des relations diplomatiques avec près de 200 pays. Il commerce avec plus de 200 pays et territoires, et sa balance commerciale est excédentaire. Il a signé des partenariats stratégiques avec une trentaine de pays dont la France. Il est l’un des rares pays à en avoir signé avec les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies. Il joue un rôle actif dans l’ASEAN. Le Forum de coopération économique Asie- Pacifique (APEC), regroupant 21 pays, s’est tenu en novembre 2017 à Dà Nang (Centre). C’est la deuxième fois que son organisation avait été confiée au Vietnam (la première en 2006). Celui-ci est l’une des économies les plus dynamiques de la région, qui est la force motrice principale pour l’économie du monde. Les assises de la coopération décentralisée avec la France ont lieu tous les deux ans. Les liens dans le secteur de la santé, anciens, sont remarquables. Un bilan positif, des objectifs atteints, une entrée réussie dans les organismes internationaux même s’il est difficile de négocier avec les États-Unis, comme ce fut le cas pour intégrer l’OMC.
Propos recueillis par VU Mai Linh Huong/CVN